Des chiffres aux nombres





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1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 … comment en est-on arrivé là ? Pas si simple ! … et pour répondre à cette question, nous allons devoir voyager de la Mésopotamie (actuelle Irak) à l’Afrique du Nord en passant par l’Egypte, l’Inde et la Grèce.

Une petite légende autour du mot "calcul" (qui vient de « calculus », en latin, caillou), nous raconte que le berger déposait dans un panier autant de cailloux que de moutons quittaient la bergerie. En rentrant des prés, le berger sortait les cailloux du panier afin de vérifier le compte de moutons.
C'est ce qu'on appelle la correspondance terme à terme. Elle consiste à associer à chaque élément de l'ensemble à compter (ici les moutons), des éléments d'une autre variété (cailloux, doigts, ...). Elle est la base de tout système de numération et permet en particulier de comparer la taille des ensembles.

L’évolution de nos chiffres s'étale sur plusieurs millénaires. C'est au Paléolithique (il y a 30 000 ans) qu'on trouve les premières marques permettant de conserver les nombres sur des supports tels que les os ou le bois. La plus ancienne est un péroné de babouin portant 29 encoches trouvé au Swaziland en Afrique australe.

 

Compter par paquets : la base du système

On a tous eu un jour l’occasion de compter une quantité importante de petits objets : des pièces de monnaie, des billes, des cartes, … Notre compte fini, on en effectue un deuxième afin d’être certain de ne pas s’être trompé. Mais il est rare, malheureusement, de tomber deux fois sur le même résultat. Et là, notre esprit ingénieux (!) nous conseille d’user d’un stratagème pour ne pas se faire posséder une nouvelle fois par le grand nombre : on fait des petits paquets de 10 ! Et si cela ne suffit pas : avec 10 petits paquets de 10, nous formons un gros paquet de 100.
Nous réinventons le système de numération de base 10 (système décimal). Pourquoi « de base 10 », car pour obtenir un petit paquet, il faut 10 unités et pour obtenir un gros paquet, il faut 10 petits paquets.
Pour passer au rang des dizaines (petits paquets), il faut 10 unités et pour passer au rang des centaines (gros paquets), il faut 10 dizaines.
10 unités d'un rang valent 1 unité du rang immédiatement supérieur.

L'écriture décimale demande 10 symboles (0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9). Nos 10 doigts en sont incontestablement à l’origine. Que serait aujourd’hui notre système d’écriture si nous avions deux doigts seulement ???

Il est possible en effet d'écrire les nombres dans d'autres bases que la base décimale ! Prenons par exemple le système binaire (base 2) qui ne dispose que de deux symboles : 0 et 1 (deux doigts!)

0 s’écrit 0 (en base 2)
1 s’écrit 1
2 s’écrit 10
3 s’écrit 11
4 s’écrit 100
5 s’écrit 101 etc…

Ce système est par exemple utilisé dans la programmation des ordinateurs. En électronique, soit le circuit est fermé (0), soit il est ouvert (1). A condition d’avoir un nombre suffisant de circuits, on peut coder n’importe quel nombre. Le code ASCII utilise ainsi les nombres binaires pour représenter des symboles tels les caractères, les chiffres, les signes de ponctuation...

 

Classification des numérations

Chaque civilisation avait son système de numération plus ou moins performant dans sa propre base.

- Dans le principe additif, la valeur d'un nombre est égale à la somme des symboles qui le composent. Un nombre est formé par la juxtaposition de symboles répétés autant de fois qu'il le faut.
Pour noter le chiffre 9 par exemple, les égyptiens répètent neuf fois le symbole de l’unité.
On voit vite les limites de ce procédé quand il s’agit de représenter des grands nombres mais surtout d'effectuer des calculs. Le principe additif imposait en effet une distance entre écriture et calcul exigeant l’usage de dispositifs matériels tels le boulier ou l’abaque.

- Comment peut on écrire alors un nombre avec moins symboles ?
Le principe de position semble en être la meilleure réponse et constitue une avancée capitale dans l'histoire de l’écriture des nombres.
L'idée ingénieuse est que la valeur du symbole varie en fonction de la place qu’il occupe dans l’écriture du nombre.
Dans 553, par exemple, le "5 de gauche" occupe la place des centaines et vaut 10 fois plus que le "5 du centre" occupant la place des dizaines. Ce sont pourtant les mêmes symboles !

- Certaines civilisations ont adopté un principe mixte appelé numération hybride faisant intervenir simultanément l'addition et la multiplication dans le principe de position.
Pour comprendre, le nombre 932 représenté dans un tel type de numération s'écrirait : 910031021

 

 

En Mésopotamie

Depuis l'Anatolie à la vallée de l'Indus, et de la mer Caspienne au Soudan, on utilise des petits jetons de terre cuite de formes et de tailles différentes suivant la quantité qu’ils représentent. Les plus anciens retrouvés remontent à une époque allant du IXème au VIIème millénaire avant J.C.

En 3500 avant J.C., en Mésopotamie, dans les société de Sumer et d'Elam, ces jetons sont emprisonnés dans une boule creuse en argile qui permet de vérifier que les transactions commerciales sont exactes, on leurs donnera le nom de calculi.

-Petit cône = 1

-Petite bille = 10

-Grand cône = 60

-Grand cône percé = 600

-Grosse bille = 3600

-Grosse bille percée = 36000

Ces cailloux constituent l'un des premiers systèmes de numération. Ce système suit le principe additif et sa base est sexagésimale (base 60).
Les origines de la base 60 se cachent également sur nos mains : il s’agit d’une combinaison entre les 5 doigts de la main gauche et les phalanges des quatre doigts de la main droite, le pouce servant à compter les phalanges, soit 12 au total. Et 5 x 12 = 60 !


Extrait de "Histoire universelle des chiffres" Georges Ifrah - Editions Robert Laffont 1994




L’astronomie a préservé ce système que l’on retrouve aujourd’hui au travers des unités de temps (1h = 60min = 3600s) et des mesures d’angles (un tour entier = 360°).
Par exemple, 75 en base 10 s'écrit 1,15 en base 60. En effet, 75 min = 1h15min.

Mais la manipulation n’est pas facile car pour vérifier que la marchandise correspond bien au nombre de « calculi » enfermés dans la boule, il faut casser celle-ci.

Durant la seconde moitié du IVème millénaire avant J.C., à Sumer, naît l’écriture, et avec elle, les premières représentations écrites des nombres.
La boule « s’aplatit » et devient une tablette sur laquelle sont gravés des pictogrammes représentant la nature de la marchandise : épis de blé, animaux, …

Cette écriture évolue vers une forme simplifiée, dite cunéiforme que l'on trouve chez les babyloniens vers 2500 avant J.C.

Vers le IIème millénaire avant J.C., elle évoluera encore pour permettre l'écriture de nombres plus grands et voir apparaître la première numération de position. En fait, cette écriture combine le principe additif et le principe de position. Suivant la place qu'occupe le symbole, celui-ci correspond soit à une unité, soit à une soixantaine, soit à une soixantaine de soixantaines.
Il n'existe que deux symboles le "clou vertical" et le "chevron". Les neuf premiers chiffres se représentent par répétitions de clous verticaux (principe additif). 10 est représenté par le chevron. Pour écrire les nombres de 11 à 59, on répète les symboles autant de fois que nécessaire (principe additif).
Le nombre 60 se représente à nouveau par le clou (principe de position).

Le système de numération babylonien, parfois ambiguë, évoluera au fil du temps. Les scribes auront par exemple l’idée d’un signe de séparation des symboles se présentant sous la forme d’un double chevron exprimant qu’il n’y a rien. Il s'agit de la première trace du zéro (IIIème siècle avant J.C.)


Tablette de terre cuite portant des nombres en écriture cunéiforme

Autre tablette babylonienne montrant une table de multiplication

Calcul d'aire de terrain (Umma - Région sumérienne)

 

En Egypte

Au IIIème millénaire avant J.C., en Egypte, les scribes écrivent les nombres sur des papyrus sous forme de hiéroglyphes. Les égyptiens utilisent un système de numération (reposant sur le principe additif) moins performant que celui des mésopotamiens mais connaissent déjà l’écriture décimale.
Ils peuvent représenter les nombres jusqu’au million. Chaque signe possède une valeur qui correspond à l'une des 6 premières puissances de 10. L’unité est une barre verticale ; la dizaine est une anse de panier ; la centaine est une corde enroulée ; le millier est une fleur de lotus ; la dizaine de mille est un doigt dressé ; la centaine de mille est un têtard et le million est un dieu.

Le nombre représenté ci-dessous à droite est 2 423 968. Essayez de comprendre comment est construit ce système d’écriture. C’est facile !

Nous leurs devons aussi les fractions, puisqu’ils sont à l’origine des fractions de numérateur 1.
Nous trouvons à ce sujet un épisode sanglant de la mythologie égyptienne où Seth (Dieu de la violence) arrache l’œil à Horus (Dieu à tête de faucon et à corps d’homme) et le partage en 6 morceaux.
Son œil est appelé Oudjat ; chacune de ses parties symbolise une fraction de numérateur 1 et de dénominateurs 2, 4, 8, 16, 32 et 64.
Thot (Dieu humain) reconstitue l’œil, symbole du bien contre le mal mais la somme de ces parts n’est pas égale à 1 (l’œil entier) mais à 63/64. Thot accordera le 64ème manquant à tout scribe recherchant et acceptant sa protection.


Mur d'une construction de Thoutmosis III à Karnak

L'oeil d'Horus

 


En Grèce

Grecs et romains ont inventé des systèmes de numération alphabétiques très peu adaptés aux calculs.
Le système romain, par exemple, est composé de symboles (I, V, X, L, C, D et M) notés côte à côte selon le principe additif et combine les bases 5 et 10.
Notons, qu’en réalité, ces symboles ne sont pas tous les formes initiales des chiffres romains. Les plus anciens sont les signes I, V et X qui dérivent directement de la pratique de l'entaille.
Pour voir leur évolution au fil des temps depuis les étrusques, cliquez sur le lien externe : Histoire des chiffres



Entailles de bergers trouvées en Dalmatie,
extrait de "Histoire universelle des chiffres" Georges Ifrah - Editions Robert Laffont 1994


Un exemple : 1789 se note MDCCLXXXIX
M(1000) + D(500) + CC(2x100=200) + L(50) + XXX(3x10=30) + IX(10-1=9)
Imaginez comment effectuer des opérations avec une telle notation !!!

L’écriture grecque n'était guère plus commode. Pour les grecs, les nombres sont nécessairement liés à des conceptions géométriques. Ils n'ont pas encore acquis un statut indépendant qui les ferait exister par eux même.




En Chine

Le premier système de numération chinois est décimal et de type hybride. Il fait appel à 13 symboles fondamentaux : les 9 unités et les 4 premières puissances de 10. Celui-ci a peu évolué au cours de l’histoire. On trouve ces symboles sur les os et les écailles divinatoires de l’époque Yin (XIVème/XIème siècles avant J.C.).


Comparaison entre les symboles actuels (1ère ligne) et les symboles archaïques (2ème ligne)


Les chinois du IIème siècle avant J.C. disposent d’un autre type de numération dit « numération savante ». Ce système suit le principe additif dans la base 10. Les symboles sont composés de bâtonnets en alternant les rangs par des barres verticales ou horizontales pour éviter la confusion.


Pour effectuer les opérations arithmétiques, les chinois placent ces bâtonnets d’ivoire ou de bambou, appelés "chou", dans une table en forme d’échiquier.


Maître chinois enseignant l’art du calcul




Chez les mayas

Dans leur étude des astres, les mayas se servent des nombres pour calculer le temps. Ce sont les inventeurs du calendrier.

Leur système de numération datant du Vème siècle après J.C. suit le principe de position dans la base vigésimale (base 20). Celui-ci trouve ses origines avec nos 10 doigts et 10 orteils ! Les symboles employés sont composés de barres horizontales et de points : les glyphes. Indépendamment des autres civilisations, les mayas inventent le zéro qu’ils représentent par un coquillage.

Les mayas écrivent de haut en bas par puissances de 20 décroissantes. Leur système connaît cependant une irrégularité au 3ème ordre de l’écriture. Les nombres se décomposent ainsi en somme de produits de 1 ; 20 ; 18x20 (au lieu de 202) ; 18x202 ; …
Ainsi l’écriture ci-contre représente le nombre :
1x 18x202(4e ordre) + 3x 18x20(3e ordre) + 2x 20(2e ordre) + 12x 1(1er ordre) = 8332
Cette irrégularité dans le 3ème ordre s’explique par le fait que les mayas souhaitent respecter l’année solaire, soit : 18x20=360 jours.

Parallèlement à cette écriture, il existe une numération constituée de symboles en forme de têtes (glyphes céphalomorphes) que l’on trouve sur les monuments.

De la base 20, il nous reste aujourd’hui le mot « quatre-vingts » pour lire le nombre « 80 ».


Symboles numériques mayas retrouvés sur les pages du codex de Dresde,
livre de 74 pages qui contient plusieurs exemples d’almanachs, des tables d’éclipses et des études sur les cycles planétaires.

 

 

En Inde

Nos chiffres de « 1 » à « 9 » que nous appelons à tort « chiffres arabes », viennent en réalité des Indes. Leurs "ancêtres" les plus anciens apparaissent dans des inscriptions des grottes de Nana Ghât datant du 2e siècle avant J.C.

Au Veme siècle de notre ère, en Inde, les savants ont l’idée ingénieuse de marier le principe de position, les neuf symboles et le zéro en tant que nombre à part entière représentant une quantité qui n’existe pas.
Dans « 806 », il n’y a pas de dizaine, le « 0 » marque cette absence.
Outre que ce nouveau système est très commode pour les calculs, le changement est plus profond. Les mathématiciens indiens n'ont plus à passer par des problèmes de géométrie pour justifier de l'existence de nombres dans les calculs.

 

De l'Inde à l'Occident

Moins d’un siècle après la mort du Prophète Mahomet, en 632, les arabes s’étendent de l’Inde à l’Espagne en passant par l’Afrique du Nord.
Au VIII eme siècle, Bagdad est un riche pole scientifique. A cette époque, les arabes ne disposent pas d’un système de numération performant. Ils emprunteront celui des Indes.
Les chiffres indiens connaissent alors une double évolution graphique pour donner deux types de notation numérique : une transcription orientale (« hindi ») pratiquée dès le XIIème siècle au Proche et Moyen Orient et une transcription occidentale (« ghubar ») connue dans les pays du Maghreb et qui passant par l’Espagne musulmane arrivera jusqu’à nous.
C'est le perse Muhammad ibn Musa al-Khwarizmi (790 ; 850) qui contribue à la propagation du système de numération indien par son "Livre de l'addition et de la soustraction d'après le calcul des Indiens" et ses nombreuses traductions en latin.
Le moine Gerbert d'Aurillac (945 ; 1003) qui deviendra pape en 999 sous le nom de Sylvestre II, est passionné par les mathématiques. Il rédige deux traités, l'un sur multiplication, l'autre sur la division. Il initiera pour la première fois l'occident chrétien aux chiffres "indo-arabes" mais il ne retient ni la numération de position ni le zéro. Il faut dire que l’Europe de l’époque, fortement sous-développée, n’a pas vraiment besoin des chiffres arabes. Le monde occidental entre alors dans une période de querelle qui opposera les abacistes, partisans du calcul sur l'abaque romain qui suffit encore aux besoins du commerce et les algoristes qui adopteront la nouvelle numération de position.
Voilà pourquoi nous trouvons encore les chiffres romains dans les vieux livres.
Il faudra attendre le XIIIème siècle, avec le mathématicien italien Léonard de Pise, dit Fibonacci, pour que le mouvement s’accélère.


Margarita philosophica de G.Reisch, 1504


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