Histoire de l'algèbre





L’algèbre a d’abord été une branche des mathématiques qui concernait les règles des opérations sur les nombres et la résolution des équations pour devenir plus tard une théorie des opérations puis des propriétés sur les êtres mathématiques en général.

Cette rubrique tente de retracer la longue épopée d'une discipline qui a commencé, il y a plus de 4000 ans, à l’époque de la civilisation babylonienne et qui aujourd’hui encore poursuit son évolution...


Les initiateurs de l’algèbre :

- Babyloniens et égyptiens
- Chinois
- Grecs
- Indiens

La naissance de l'algèbre dans le monde arabo-musulman :

- al Khwarizmi et l’al jabr
- Abu Kamil
- Les algébristes arithméticiens
- Les géomètres algébristes

L’algèbre dans le monde de l’Occident :

- En Italie
- Vers le symbolisme
- Evolution moderne

 

Les initiateurs de l’algèbre

Deux mille ans avant J.C., babyloniens et égyptiens savent résoudre de façon rhétorique des problèmes concrets du premier et second degré en utilisant implicitement des propriétés sur les opérations sans aucune notation symbolique. Les égyptiens possèdent toutefois quelques symboles comme ceux qui représentent l’addition (une paire de jambes marchant vers la gauche, le sens de l’écriture) et la soustraction (une paire de jambes marchant vers la droite).


+          et          -

Les calculateurs babyloniens désignent l’inconnue par "le côté" et la puissance deux est appelée "le carré".


Extrait d’un papyrus égyptien du 2e millénaire avant J.C.

Le problème revient aujourd’hui à résoudre l’équation : x + x/5 = 21


Il y a un peu plus de 2000 ans, les chinois connaissaient des méthodes pour résoudre les systèmes linéaires proches de notre méthode des combinaisons linéaires. Ils employaient également la méthode de fausse position.


Extrait du manuscrit chinois « Neuf chapitres sur l’art du calcul », Ier siècle

Le problème revient aujourd’hui à résoudre le système d’équations :
2x = 1 + y
3y = 1 + z
4z = 1+ x
x, y
et z étant les poids respectifs d’une gerbe de chaque récolte.

 

Chez les grecs, les nombres sont intimement liés à des concepts géométriques, de ce fait, ils n’apporteront pas de techniques nouvelles de calculs. Ils s’attacheront à passer par des constructions à la règle et au compas pour représenter les solutions qui sont nécessairement des rationnels positifs.



Extrait du Livre II Proposition 11 des Eléments d’Euclide.


Dans le langage d’aujourd’hui :
Soit [AB] un segment donné, il s’agit de déterminer le point H de [AB] tel que
le carré construit sur [AH] ait la même aire que le rectangle de côtés [HB] et [AB].
Ce qui revient à résoudre l’équation : x2 = AB(AB - x), où x = AH.

L’amorce du symbolisme en algèbre voit le jour dans « Les arithmétiques » avec Diophante d’Alexandrie (IIIe siècle) qui introduit un certain nombre d’abréviations. Les raisonnements restent cependant écrits en toute lettre. Sa notation est dite syncopée, ce qui signifie que les mots sont remplacés par des abréviations. Diophante utilise des techniques algébriques sans faire référence à la géométrie et par là, il s’oppose radicalement aux méthodes passées des géomètres grecs.

 

En Inde Chez Aryabhata l'Ancien (476 ; 550), on trouve dans son « Aryabhatîya », écrit en sanscrit en 510, des problèmes énoncés de façon concrète qui correspondent à des équations linéaires ou à des systèmes d’équations du premier degré.

Plus tard, dans le « Brahma Sphuta Siddhanta » (L’ouverture de l’Univers), datant de 628, Brahmagupta (598 ; 660) exprime des solutions d’équations quadratiques.


Problème donné par Aryabhata l'Ancien (476 ; 550)

Dans le langage d’aujourd’hui :
Si a et b sont les sommes possédées, c et d le nombre d’objets possédés, alors :
x = (b-a)/(c-d) est le prix de chaque objet.



La naissance de l’algèbre dans le monde arabo-musulman

Le développement de l’algèbre dans le monde arabo-musulman s’est effectué en deux temps.
Au VIIe et VIIIe siècle, les mathématiciens héritent du savoir passé (grec, indien, …) et entre dans une longue période de traduction.
Puis à partir du IXe siècle, de nouveaux travaux voient le jour.

Al Khwarizmi et l'al jabr :

Selon l’historien Ahmed Djebbar, l’acte de naissance officiel de l’algèbre en tant que discipline vient avec le savant perse Muhammad ibn Musa al-Khwarizmi (790 ; 850).
Dans un premier ouvrage, il expose le système décimal et les règles du calcul indien. Avec le « Kitâb al-jabr wa al-muqâbala » (Le livre du rajout et de l'équilibre), rédigé entre 813 et 833 et dédié au calife al Mamum, al Khwarizmi pose les bases des méthodes algébriques de résolution des équations ainsi qu’une synthèse des règles héritées des grecs et des textes néo-persans.
En grande partie, l’ouvrage traite de problèmes de la vie courante (partages d’héritage, droits de succession, échanges commerciaux, arpentages des terres…)


Al Khwarizmi

Extrait du livre du rajout et de l'équilibre d'al Khwarizmi


Son algèbre reste rhétorique sans symbolisme aucun, même pour les nombres. Il appelle « dirham » (monnaie de l’époque) un nombre simple, « chay » (chose) l’inconnue et « mal » le carré de l’inconnue. Tous les coefficients sont positifs et tous les termes s’additionnent.
Sa technique consiste à ramener toutes les équations à l’une des six équations canoniques dont il sait trouver la solution :

1) ax2 = bx
2) ax2 = c
3) bx = c
4) ax2 + bx = c
5) ax2 + c = bx
6) bx + c = ax2

Pour y arriver, il utilise des méthodes de résolutions :

- al jabr (le reboutement, 4x - 3 = 5 devient 4x = 5 + 3). Dans l’équation, un terme négatif est accepté mais al Khwarizmi s’attache a s’en débarrasser au plus vite. Pour cela, il ajoute son opposé des deux côtés de l’équation.
Le mot "al jabr" est réutilisé dans de nombreux manuels postérieurs et deviendra en Europe : l’algèbre.

- al muqabala (la réduction, 4x = 9 + 3x devient x = 9)
Les termes semblables sont réduits.

- al hatt (2x = 8 devient x = 4)
Division de chaque terme par un même nombre.

Al Khwarizmi peut être considéré comme le fondateur d’une véritable théorie de résolution des équations quadratiques.
Il propose également quelques problèmes d’héritages menant à des systèmes d’équations mais qu’il ramène, pour les résoudre, à une équation linéaire.


L'Algèbre d'Al Khwarizmi

Abu Kamil :

Shuja Abu Kamil (850 ; 930) prolonge les travaux d’al Khwarizmi sur les équations quadratiques dans « al Kitab al kamil fi l-jabr wa l-muqabala » (Livre complet en algèbre).
Son second livre « Kita bat-tara’if l-hisab (Livre des choses rares en calcul) est entièrement consacré aux systèmes d’équations.
Abu Kamil possède un degré d’abstraction supérieur à son prédécesseur.

Plus tard, Thabit ibn Qurra (836 ; 901) sera le premier à distinguer clairement les méthodes algébriques et géométriques et prouvera qu’elles mènent toutes les deux à la même solution.


Livre des choses rares d'Abu Kamil


Extrait du Livre complet d'Abu Kamil

Le problème revient aujourd’hui à résoudre l’équation :
x est le nombre de jours travaillés
6x = 4(30 - x)

 

Il faudra ensuite distinguer deux courants dans le monde arabe :


- les algébristes arithméticiens qui voient l’arithmétique au service de l’algèbre au moyen d’algorithmes numériques performants aidant à la résolution des équations. Abu Bakr al Karaji (953 ; 1029), au travers de son traité « al Kitab al fakhri fi l-jabr wa l-muqabala » (Le Fakhri en algèbre) en sera un acteur et fera progresser les méthodes sous l’influence des techniques algébriques des « Arithmétiques » de Diophante. Ses méthodes de calculs algébriques sur l'inconnue et ses différentes puissances donneront naissance à la théorie des polynômes.
A cette occasion, al Karaji expose un triangle de détermination du binôme (a+b)n.


Triangle d'al Karaji

 

- les géomètres algébristes font avancer l’algèbre par la géométrie en étudiant en particulier les constructions géométriques permettant de représenter les racines des équations. Muhammad al Mahani (820 ; 880) s’intéresse au problème d’Archimède de Syracuse (-287 ; -212) exposé dans le traité « Sur la sphère et le cylindre » (Proposition 4 du Livre II). Ce problème consiste à étudier l’intersection d’une sphère par un plan. Il sera amené à résoudre par radicaux une équation du 3e degré du type x3 + r = px2, ce que les algébristes arithméticiens n’avaient pas encore tenté. Toutefois ses recherches resteront vaines.

D’autres mathématiciens du Xe siècle comme Abu Jafar al Khazin (900 ; 971) et al Hasan Ibn al Haytham (965 ; 1040), plus connu sous le nom d’Alhazen en Europe, reprennent des problèmes venus de l’Antiquité comme la duplication du cube, la trisection de l’angle ou certaines constructions de polygones qui mènent à des équations du 3e degré.

Plus tard, le mathématicien et poète Omar Khayyam (1048 ; 1123) écrit un traité sur les équations cubiques « Kitab a l-jabr wa l-muqabala » (Livre d’algèbre). Il dissocie l’algèbre de l’arithmétique et passe par les radicaux pour résoudre les équations. En utilisant les méthodes numériques ou géométriques, Omar Khayyam étudie les équations sous forme rhétorique mais dans des cas généraux : les coefficients sont des nombres positifs quelconques. Il remarque que les équations du 3e degré possèdent deux racines distinctes positives mais passe à côté de la troisième.

« Puisque tu ignores ce que te réserve demain, efforce-toi d'être heureux aujourd'hui. Prends une urne de vin, va t'asseoir au clair de lune, et bois, en te disant que la lune te cherchera peut être vainement, demain. » Extrait de Robaiyat, Omar Khayyam.


En 1170, dans « Les équations », Sharaf al Din al Tusi (1135 ; 1213) reprend les travaux des deux courants. Il passe par des discussions sur l’existence des racines positives en étudiant des courbes et en donnant des solutions numériques approximées. Son approche est locale et analytique. Cette conception sera poursuivie par Jemshid Al Kashi (1380 ; 1430) dans son « Traité de la corde et du sinus ». Il sera mené à donner une valeur approchée d’une équation du type x3 + q = px pour étudier le problème de la trisection de l’angle.

A partir du début du XVe siècle, les recherches mathématiques vont périclitées dans le monde arabe pour se propager en Europe en passant par l’Espagne musulmane.



L’algèbre en Occident

En Italie :


Tartaglia

Au XVe et XVIe siècle, l’algèbre prend son essor avec des méthodes de résolution pour des équations du 3e et 4e degré et l’apparition des nombres complexes. Les premières traductions de traités arabes comme le « Livre d’algèbre » d’al Khwarizmi ou le « Livre complet » d’Abu Kamil commencent à faire leur apparition.
L’Italie prend une certaine avance dans la réalisation de copies des ouvrages arabes. Celà s'explique par la constitution d’une grande classe de marchands ayant besoin de manuels de calcul.

 

Dans son « Liber Abaci », l’italien Léonard de Pise dit Fibonacci (1170 ; 1250) expose des éléments d’algèbre du passé qu’il enrichit de nouveaux problèmes et de nouvelles méthodes.

En 1494, dans « Summa de arithmetica, geometria, proporzioni et proporzionalita », Luca Pacioli (1445 ; 1517) donne une solution générale des équations du premier degré, sans notation exponentielle, mais avec de nombreuses abréviations. Il utilise par exemple les lettres p et m pour désigner respectivement une addition et une soustraction.

Lors d’un défi, l’italien Niccolo Fontana dit Tartaglia (1499 ; 1557) trouve la résolution générale d’équations du type x3 + px = q. Dans un premier temps, il ne voudra pas dévoiler sa formule jusqu’à ce que Gerolamo Cardano (1501 ; 1576), au nom francisé de Jérôme Cardan, lui arrache. C’est ce dernier qui, dans « Practica arithmeticae », admet sur des équations à cœfficients numériques des solutions négatives et manipule des racines carrées de nombres négatifs. En 1545, dans « Ars magne », Cardan propose une méthode de résolution d’équations du 4e degré.


Résolution de l’équation du troisième degré donnée à Cardan en 1546, Tartaglia.


Rafaël Bombelli (1526 ; 1572) est premier à diffuser les problèmes de Diophante dans le monde de l’Occident. Comme Cardan, il étudie des équations de degrés supérieurs à 2 et considère les racines négatives.


Vers le symbolisme :

En 1484, Nicolas Chuquet (1445 ; 1500) écrit un remarquable ouvrage d’algèbre « Triparty en la science des nombres », mais son oeuvre n’est pas publiée et mal comprise de ses contemporains. Chuquet résout des systèmes d’équations du premier degré, utilise habilement les nombres négatifs jusqu’aux puissances négatives et établit des notations exponentielles. Par exemple, pour 12x3, il note 123.

En 1544, le moine allemand Michaël Stifel (1486 ; 1567) note l’inconnue par une sorte de r et travaille avec les nombres négatifs qu’il appelle nombre absurde.

Avec le français François Viète (1540 ; 1603), l’algèbre prend un nouveau tournant. Il conçoit l’écriture d’expressions à plusieurs inconnues et à coefficients littéraux. Ce qui permet d’apporter des méthodes de résolution dans des cas généraux. Il conserve une conception géométrique puisque les lettres représentent des grandeurs géométriques mais il n’hésite pas à dépasser la dimension 3 ce qui étonne Stifel qui qualifie sa vision de « contre-nature ». Viète peut être considéré comme le créateur du symbolisme mathématique moderne.



Avec René Descartes (1596 ; 1650), l’algèbre quitte sa forme syncopée et devient une branche totalement indépendante des mathématiques. C’est lui qui met en place les notations modernes que nous connaissons en algèbre, comme par exemple l’exposant pour les puissances.
Il propose d'utiliser les premières lettres de l'alphabet pour des quantités connues et les dernières pour les inconnues. Aujourd'hui encore, les paramètres sont habituellement notés a, b ou c alors que les variables sont x, y ou z. Grâce à un bon symbolisme, Descartes développe l’aspect « mécanique » du calcul algébrique qui, selon lui, permet de simplifier la pensée.
Utilisant ses récentes découvertes dans le domaine de la géométrie analytique, Descartes résout des équations du 3e et 4e degré en passant par la construction de courbes.

Fin du XVIIe siècle, le symbole = entre dans l’écriture des équations. Ce symbole fut introduit en 1557 dans The Whetstone of Witte par l’anglais Robert Recorde (1510 ; 1558) : « Rien n’est plus pareil que deux lignes jumelles. »


Extrait de The Whetstone of Witte de Robert Recorde

 

Evolution moderne :

Au XVIIIe siècle, les progrès en algèbre se font plus rares avec les efforts donnés au calcul infinitésimal et le développement de l’analyse.
Alexandre Van der Monde (1735 ; 1796) travaille toutefois sur la résolution d’équations de degrés supérieurs. Et Joseph Lagrange (1736 ; 1813) puis Niels Abel (1802 ; 1829) s’attacheront à démontrer l’impossibilité de résoudre les équations du 5e degré avec des radicaux.
Le suisse Gabriel Cramer (1704 ; 1753) fait la première étude exhaustive des systèmes d’équations.

Au XIXe siècle, l’algèbre voit arriver les calculs de déterminants puis matriciels et d’autres mathématiciens tels Evariste Galois, ouvriront les portes de l’algèbre moderne … mais c’est là un autre sujet …


Pour finir, remontons le temps au travers d'une même "équation" :



Quelques liens traitant du sujet :

 



   
   

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